Première réunion de travail

Une première réunion de travail a eu lieu le vendredi 25 septembre 2020 à la salle Lavau, 98 rue de l’Université, 75007 Paris. Elle s’est tenue avec toutes les règles de prudence dans cette période de pandémie, et un certain nombre de collègues intéressés n’ont pu la suivre que par Zoom. La discussion, nourrie d’exposés approfondis, a été consacrée à la question des états limites dans la cure psychanalytique. On ne peut évidemment la résumer de façon vraiment satisfaisante, mais nous nous proposons de publier l’essentiel des travaux aussitôt que possible. Roland Chemama a ouvert l’après-midi en évoquant les formes que nous voulons donner à notre travail.

Mathilde Marey-Semper est partie des signifiants qui ont vu le jour depuis quelques décennies pour « représenter une clinique qui vient mettre à l’épreuve le repérage structural classique depuis Freud ». Elle a organisé son travail à partir de la présentation de deux cures, dans le but d’interroger la façon dont les états dits limites peuvent se présenter différemment selon que le sujet s’inscrit « côté homme » ou « côté femme ». Elle fait l’hypothèse que « là où pour l'homme le refus des effets de la fonction phallique aurait pour conséquences un rejet radical du lieu de l’Autre comme altérité et une rencontre inévitable avec l’objet a, le pas-tout féminin, dans un fonctionnement similaire, indiquerait toujours la présence de cette fonction de par le fait que la jouissance Autre en est un au-delà et offrirait ainsi la possibilité au sujet de jouer de ses modalités de jouissance, le maintien du rapport au phallus de cet Autre lieu permettant alors ce jeu d’adresse singulier dans le transfert typiquement féminin ».

Judith Toledano-Weinberg a rapproché, dans une perspective structurale, les états-limites de la phobie. Elle fait l’hypothèse que « le symptôme phobique dans la cure est un moment de structuration chez les patients qu’on appelle les états limites », et en même temps  que la phobie est une structure limite qui ne trouve sa place ni dans la névrose au sens freudien, ni dans la psychose. Elle a montré que l’animal phobique n’est pas un pur signifiant, que ce n’est pas de l’ordre du symbolique comme pour le symptôme hystérique. L’objet phobique introduit quelque chose de réel qui se donne à voir dans l’image, de l’ordre peut-être du surgissement de la Chose. On est donc là introduit à une clinique où « le symptôme vient du Réel », ce qui rejoint une thèse que Lacan développa vers la fin de son enseignement. Elle a introduit quelques propositions concernant la direction de la cure appelée par cette clinique.

Anne Perret relève que dans la psychanalyse on insiste souvent sur la question de l’agir à l’adolescence et sur celle du bouleversement psychique induit par le débordement pulsionnel lié à la puberté et moins souvent sur la fréquence des hallucinations à cet âge. Elle montre que la bipartition entre névrose et psychose ne semble pas tenir à l’épreuve de cette clinique. Son hypothèse est que le symptôme hallucinatoire, en tant que retour du réel de la pulsion, viendrait manifester, dans le même temps, un défaut de symbolisation à situer dans le corps mais aussi une production imaginaire participant d’un travail de subjectivation.

La deuxième partie de l’après-midi s’est organisée autour d’un débat qui avait été prévu entre Jean-Pierre Lebrun et Moustapha Safouan. Elle commença par la lecture d’un texte que ce dernier avait écrit avec Christian Hoffmann. Ce texte comporte plusieurs aspects, en particulier un rappel, rarement fait, du contexte dans lequel apparaît la problématique des Etats-limites au début des années 1970. A partir de là Moustapha Safouan et Christian Hoffmann affirment qu’il s’agit, avec les cas-limites, de « sujets qui gardent intact le sens de la « réalité », contrairement aux psychotiques, mais (qui) risquent au cours de leur analyse de passer par un moment psychotique. L’exemple princeps est celui de l’homme-aux-loups. Il est curieux de remarquer que Freud a centré cette histoire autour de la notion de scène primitive. Cette scène ne disait rien à son patient, ce qui est la preuve qu’on peut avoir affaire à des sujets pour qui cette scène ne fait pas partie de leurs fantasmes. C’est là qu’est le hic : la scène primitive est la façon dont l’inconscient imagine la pensée selon laquelle le père serait le signifiant du désir de la mère. C’est pour cela que les « cas limites » sont des sujets chez lesquels l’idée du père comme signifiant du désir de la mère, comme l'indiquerait éventuellement la scène primitive, n’a aucun sens. Il ne s’agit pas d’une forclusion du nom-du-père comme dans la psychose, mais de sa carence comme signifiant du désir de la mère ».

Il faudrait, pour donner une idée plus précise des enjeux que ce questionnement peut ouvrir, reprendre la présentation faite à plusieurs reprises, par Jean-Pierre Lebrun, des états limites. On en trouvera un exposé très articulé dans un texte intitulé « Lacan et les états-limites », que l’on peut trouver sur internet, mais que nous serons sans doute amenés à republier. Ce texte de J-P Lebrun, et l’exposé qu’il fit le 25 septembre, comportent eux aussi un aspect historique, qui concerne entre autres les difficultés qu’il put y avoir à introduire la question des états-limites parmi les psychanalystes et en particulier les psychanalystes lacaniens, malgré la place phénoménologiquement incontestable que prend aujourd’hui cette clinique. Mais ils développent également une analyse structurale, rendant compte de la spécificité de cette clinique en soulignant notamment le rôle qui joue le lien premier à la mère. Et cela conduit alors Jean-Pierre Lebrun à situer cette nouvelle clinique dans sa relation avec les mutations du discours social. 

L’exposé de Jean-Pierre Lebrun, ainsi que l’intervention de Christian Hoffmann furent accompagnés de nombreuses questions et hypothèses formulées par Joël Birman, Roland Chemama, et Thierry Sauze. Une contribution écrite pourra ainsi leur être demandée pour une publication à venir.