Moustapha Safouan (1921-2020)

Moustapha Safouan a fait son analyse avec Marc Schlumberger, dont il disait qu'il avait une sensibilité à la langue. Ensuite pour faire une supervision, il racontait qu'il avait le choix à l'époque, entre Daniel Lagache et Jacques Lacan. L'un pratiquait l'analyse des conduites et l'autre l'analyse de la parole. C'est ainsi qu'il a rencontré Jacques Lacan. En philosophie, il avait une préférence pour Ludwig Wittgenstein. Moustapha Safouan est resté avec Lacan en analyse de contrôle jusqu'à la mort de ce dernier. Il a également participé à l'Ecole Freudienne de Paris, L'Ecole de Lacan, jusqu'à sa dissolution, en prenant part pendant toute cette durée au jury de la Passe.

Il a formé beaucoup d'analystes, d'abord à Strasbourg, puis à Paris. Il me disait avoir encore « le désir d'écouter » peu de temps avant sa mort. Moustapha Safouan avait une philosophie de la vie guidée par le travail, il disait qu'il vivait pour travailler et non le contraire, c'est-à-dire, travailler pour vivre. Au sujet de son œuvre, je le citerai : « Je suis entré dans l'analyse avec l'œdipe et j'en sors avec l'œdipe ». Il s'est rendu célèbre comme auteur avec la publication des Etudes sur l'Œdipe, en 1974 au Seuil. Presque 50 ans après, nous republions cet ouvrage avec une nouvelle Préface, chez l'éditeur Hermann, qui accueille l'ensemble de ses livres pour la publication de son Œuvre Complète, dirigée par Laurence Joseph et Christian Hoffmann. Il a publié 17 livres dont les quatres derniers chez Hermann, et d'autres directement en anglais, en arabe, sans oublier les nombreuses traductions en portugais, espagnol, italien, etc. Sur l'œdipe, comme Lacan, il n'y tenait pas tant que ça. Il fait la démonstration que l'œdipe, comme le disaient déjà O. Rank et S. Ferenczi, du vivant de Freud, est le « berceau des restes de la chute du patriarcat ». Il tenait à répéter, comme Freud, que « la vie à deux est insupportable », d'où son dernier livre : Dualité et division du sujet, Hermann, 2019. Dans ces derniers ouvrages, il développe sa thèse de la datation de l'œdipe et de la psychanalyse dès la chute de la domination masculine au 19ème siècle, lorsque les femmes ont compris que le désir des hommes était un désir de pouvoir, donc narcissique. Toute la culture du 19ème siècle en témoigne, il suffit de lire H. Ibsen ou G. Eliot, sans oublier Nietszche, qu'il appréciait particulièrement. Sa pensée trouvera dans l'analyse du néolibéralisme du vingtième siècle de quoi confirmer sa thèse.

Son travail terminé en 2018, il pensait rejoindre « l'immensité », et c'est là qu'il est « tombé malade », comme il le disait. Moustapha Safouan aimait à dire qu'il finira par penser que la mort l'a oublié, il a été frappé par elle pendant son sommeil la nuit du 8 novembre 2020.

Christian Hoffmann

Le 10 novembre 2020