Les Etudes sur l'Œdipe de Moustapha Safouan

La mise en place du Groupe lacanien d’études et de recherches cliniques a été accompagnée dès le départ par l’intérêt attentif de Moustapha Safouan, dont les livres et l’enseignement ont pour nous une grande valeur. Nous publions ici la Préface à la seconde édition de ses Etudes sur l’Œdipe, premier volume de ses Œuvres complètes, accompagnée d’une présentation de cette édition par Christian Hoffmann.


Préface à la seconde édition des Etudes sur l'Œdipe
Paru chez Hermann, 2018

Depuis la publication de ce livre quelques lecteurs m’ont demandé si la figure du « père idéal » se réfère à une instance psychique ou bien si elle représente simplement un phénomène clinique.

Je dirai : « les deux ». Strictement parlant, le « père idéal » désigne le pôle de la première identification qui précède l’Œdipe de peu, et dont Freud nous a donné une description mémorable. Si l’image du corps propre constitue la première idéalisation imaginaire où l’enfant s’objective, la première identification au père constitue, elle, la première idéalisation symbolique qui promeut le devenir. La figure dont il est question dans ce livre participe du père idéal dans la mesure où son rôle est réglé par quelqu’un qui occupe la place que le sujet veut reprendre. Mais comme ce dernier est déjà passé par l’Œdipe, il arrive dans certains cas, que le père idéal s’avère projectivement contaminé par le refoulement à ce point qu’on se demande parfois s’il n’est pas le refoulement personnifié.

Il est assez significatif que j’ai été amené à noter ce phénomène chez des analysants qui faisaient partie des institutions organisées sur la base d’une hiérarchie fortement bureaucratisée1.

Pour le reste ce livre et notamment le chapitre sur la forclusion, atteste la raison pour laquelle je me suis inscrit à l’enseignement de Lacan. Il parlait non seulement du langage, mais aussi de la parole et de sa fonction chez « le sujet parlant » - terme qui sonnait comme une bizarrerie à une époque (fin des années 40) où on ne parlait que des « patients ».


Présentation de la nouvelle édition Des Etudes sur l'Œdipe
Premier volume des Oeuvres complètes chez Hermann

« Je suis donc un homme quand je ne suis plus rien »
Œdipe2

Après plusieurs décennies, j’aimerai faire remarquer dans cette réédition quelques points à propos de son contenu, à savoir une révision de l’Œdipe, et des thèses soutenues ici par Moustapha Safouan dans la suite de son oeuvre.

Par exemple, celle-ci : « l’Œdipe n’est qu’une forme culturelle parmi d’autres, qui sont également possibles pour qu’elles accomplissent la même fonction, qui est la promotion de la fonction de la castration dans le psychisme. Je pense pour ma part que cette forme-là sera vouée au dépérissement le jour où la science aura fait des progrès qui permettront de dire qui est le père, c’est-à-dire des progrès qui dispenseront le sujet d’ajouter foi à toute parole qui le nomme »3. La science a progressé aujourd’hui bien au-delà de cet attendu, il reste alors à répondre à la question de « quelles sont les autres formes de remplacement possible de l’Œdipe », dans le contexte contemporain des mutations sociales : de la famille, du genre, de la sexualité, etc.

La forme culturelle de l’Œdipe est concomitante avec l’existence de l’interdit de l’inceste. Ce n’est pas un phénomène social, mais un impératif auquel la société doit répondre d’une façon ou d’une autre. C’est dans ce sens qu’on peut dire qu’il y a un caractère universel de l’Œdipe, mais pas dans le sens d’être indépendant de l’organisation sociale auquel répond la société. Moustapha Safouan revient sur cette thèse dans son livre de 2013 La Psychanalyse. Science, Thérapie-Et Cause4, en rappelant que la structure dualiste mène à la mort, et que pour que la coexistence soit possible, il faut qu’il y ait une loi. Ce qui fait que le tiers, c’est d’abord la loi. La raison fraternelle, c’est ce qui s’indique dans l’adage hégélien : il n’y a pas de satisfaction de l’un, sans la satisfaction de l’autre. Déjà dans Totem et Tabou, Freud indique que le père n’est que le représentant de la loi qui fonde l’humain par l’introduction de la tiercéité vitale. Ce qui fait que le tiers est un semblable ou un autre transcendental, comme par exemple la religion, qui représente le nom-du-père dans lequel se signifie la loi.

C’est à l’étude de cette loi, de cette limite à la jouissance, qui « nous refuse la pleine satisfaction (sexuelle) »5 ou qui entraîne qu’il n’y a pas de rapport sexuel6, que Moustapha Safouan a consacré une partie de son oeuvre depuis ses Études sur l’Œdipe jusque dans ses ouvrages récents pour développer sa théorie du désir.

La deuxième partie de ce livre est une Introduction à la théorie du désir, où l’accent est mis sur le fantasme, à partir duquel la psychanalyse devient une érotologie et la fin de la cure se précise comme « levée graduelle des erreurs du sujet sur l’objet a » où « le désir d’être se leurrait dans l’avoir ». Il s’agit ainsi de reconnaître dans l’objet même, l’objet perdu, « celui de la visée érotique ».

Le lecteur peut suivre ce fil dans l’oeuvre de Moustapha Safouan jusque dans ces livres récents, où il envisage l’avenir de la psychanalyse dans « sa capacité à contribuer aux métamorphoses de l’Éros »7.


1. Les institutions analytiques et hospitalières.

2. Œdipe cité par M. Safouan, in M. Safouan, Regard sur la civilisation Œdipienne : Désir et finitude. Hermann, 2015, p. 179.

3. Ibid. p. 125.

4. M. Safouan, La Psychanalyse. Science, Thérapie-Et Cause. Thierry Marchaisse, 2013.

5. S. Freud, Malaise dans la culture. Seuil, p. 109.

6. J. Lacan, D’un discours qui ne serait pas du semblant. Seuil, 2006.

7. M. Safouan, La Psychanalyse. Science, Thérapie-Et Cause. Thierry Marchaisse, 2013, p. 400.