POLARISATIONS

L’élection présidentielle de 2017 a eu quelque chose d’original, quelque chose en tout cas de peu banal dans notre monde. C’est qu’elle a été gagnée non pas, comme il est ordinaire, à partir d’une volonté d’en découdre avec un adversaire diabolisé, mais à travers la promesse d’aller chercher, à droite et à gauche, ce qu’il y a de meilleur. On y croyait ou on n’y croyait pas, parce qu’on sait que tout ne peut pas s’accorder. Du moins cela ravivait un espoir ou un rêve, celui d’une diminution des tensions, dans un pays qui souffre de la violence des affrontements et qui, comme l’a montré récemment Jean Birnbaum, n’est guère porté à la nuance. Ce virage s’inscrivait d’abord dans une perspective politique (d’aucuns diront politicienne), mais qui pourrait douter qu’il pouvait comporter quelques effets subjectifs ? La diminution des tensions permet au moins au sujet individuel, s’il l’accompagne, de s’occuper plus tranquillement de son propre désir, plutôt que de le rabattre sur la rivalité ou sur la guerre de chacun contre chacun.

La présidentielle de 2022 semble se profiler tout autrement. En ce mois de décembre 2021 on assiste plutôt, semble-t-il, à un renforcement des polarisations, c’est-à-dire à une progression, dans chaque camp, de ceux qui ont les positions les plus clivantes.

Ne disons rien de ce qui se passe dans les rangs de la gauche, plus divisée que jamais. Le fait que chacun de ses courants ait préféré rester chez soi évite sans doute de devoir s’en prendre prioritairement aux courants politiques les plus proches (narcissisme des petites différences disait Freud). N’insistons pas sur l’extrême droite déclarée, qui fait du radicalisme, notamment en matière de rejet de l’immigration, l’essentiel de sa posture politique : il semble n’être jamais assez prononcé au point que là aussi on se divise. Il est plus intéressant de questionner la montée spectaculaire, dans les rangs écologistes, de Sandrine Rousseau, et celle d’Éric Ciotti dans la primaire fermée du parti Les républicains.

Contre un Yannick Jadot qui cherchait à définir une écologie « de gouvernement », qui avancerait de façon progressive sur la voie du changement, en se souciant d’élargir sa base, seul moyen d’accéder un jour à la direction du pays, on a vu à quel point des propositions beaucoup plus radicales, mises en avant par Sandrine Rousseau ont pu progresser. Cela l’a menée tout près de l’investiture, dans une démarche qui faisait sortir de façon décidée d’une éthique de la responsabilité et s’enfermer dans une éthique de la conviction (Max Weber). Est-ce à ce choix que se trouve contraint le sujet contemporain ?

Il faut dire que de l’autre côté du champ politique le durcissement n’est pas moindre. Éric Ciotti n’a certes pas gagné la primaire LR, mais il a raison de dire qu’il a gagné la bataille des idées. Ses quatre concurrents de la primaire se sont rapprochés de ses propositions, là encore sans se soucier vraiment de définir ce que pourrait être la perspective – rationnelle, visant au rassemblement – d’un président de la République.

Les positions politiques (et les sondages) évoluent vite, et une surprise est toujours possible. Il ne s’agit ici que de décrire un mouvement de fond. Les polarisations ont encore sans doute de beaux jours devant elles. La seule question, pour nous, sera de savoir quels effets subjectifs comportera leur renforcement, bien au-delà de ses formes actuelles.


Roland Chemama